chilla

L’ascension de Chilla a été fulgurante et ne semble pas près de s’arrêter au vu des nombreuses cordes de son arc. repreZent l’a rencontré, l’occasion de revenir sur son parcours, sa vision du monde, son EP, la place du rap en France… Un entretien à cœur ouvert comme on n’en fait que très rarement, mais qui comme les autres débute par une rencontre, celle d’une artiste avec le hiphop.

Chilla, peux-tu nous parler de ta première rencontre avec le hiphop ?
Ma première rencontre a été dans un premier temps auditive, très jeune, à l’âge de 10 ans en fait. Mon frère écoutait déjà beaucoup de rap donc il m’a fait découvrir Bone Thugs-N-Harmony, Biggie, Kery James… Donc j’ai écouté du rap très jeune et j’ai très vite été attirée par les lyrics, ce qui se disait dans les textes et forcément aussi la rythmique.
Ensuite je l’ai rencontré une deuxième fois, quand j’avais 18 ans parce que mes potes zonaient avec lui (NDLR : le hiphop) depuis un bout de temps et un jour ils m’ont dit « bein vas-y, prends un stylo, une feuille et écris avec nous ce soir ». C’était surtout pour se taper des barres… on était à Divonne-les-Bains et c’est dans une chambre avec mes potes que j’ai posé mon premier texte, et depuis je n’ai plus jamais lâché l’affaire.

Du coup on pourrait dire que c’est tes potes qui t’ont mise au rap…
En fait je chantais beaucoup, j’ai toujours chanté. À la base je voulais faire de la soul en anglais donc rien à voir… Je faisais des covers avec ma guitare, je chantais énormément en anglais, mais je ne pensais pas au rap. C’est vraiment venu le jour où mes potes m’ont poussé à poser un truc pour le délire. Tu sais, une de ces soirées où tout le monde pose un truc avant tout pour se taper des barres. Sauf qu’en fait je me suis tout de suite rendue compte que je préférais écrire mes morceaux, avoir mon identité dans mes textes plutôt que de reprendre ceux des autres, dans une langue qu’en plus je ne maîtrise pas. C’est tombé sous le sens à partir du moment où ils m’ont dit de prendre le stylo… ils m’ont fait découvrir ce que je cherchais, c’était devenu évident pour moi. J’ai toujours voulu faire de la musique mon métier, mais jme retrouvais pas dans la variété ou le rnb. J’avais du mal à envisager de faire de la soul en français… y’avait ce problème avec la fluidité de la langue dans les textes, ça ne me donnait pas envie d’écrire en français. Le rap s’est imposé pour moi comme étant la suite logique, le lien entre la fluidité des textes, la rythmique, le sens… et ce n’est que quelques mois plus tard que j’ai réalisé que je pouvais y intégrer de la mélodie, que je pouvais chanter. En plus dans un coin de ma tête je me disais qu’il y a fait quelque chose à faire, car y’avait personne depuis Diam’s ou Keny Arkana, jme suis dit qu’il y avait une place à prendre en France.

Si j’étais un homme…

Avec ce titre je ne voulais pas rentrer dans le cliché de la fille qui vient se plaindre du comportement des hommes, je ne voulais pas tomber dans un aspect moralisateur. Mon objectif c’était vraiment de faire comprendre aux gens, enfin aux hommes en l’occurrence, qu’on vit des situations qu’ils ne peuvent peut-être pas comprendre. Certains ne sont pas témoins de ça, certains ne sont peut-être pas entourés par des femmes qui vivent ça et c’est vrai que je voulais vraiment retourner la situation de sorte qu’ils se mettent dans notre position. Qu’ils puissent se dire « OK, moi si je vis ça comment est-ce que je réagirais? ». Ce qui est fort c’est qu’à la base j’écrivais ce texte parce que j’avais besoin de mettre des comportements dans un texte, de faire un constat, mais je n’aurais jamais cru que… enfin je pensais que les gens allaient prendre ça comme un truc moralisateur, pire opportuniste… que les hommes allaient se sentir attaqués, mais au contraire. J’ai eu des retours, particulièrement de la part des hommes, qui me disaient « grâce à toi j’ai compris certaines choses » et c’est vrai que ça fait bizarre en tant qu’artiste quand on remarque que nos paroles font résonances chez les autres alors qu’à la base ça vient du plus profond de notre être, c’est là que réside toute la force de la musique et des paroles. Pour moi c’est le plus beau des compliments que l’on puisse me faire, que l’on vienne me dire que mes textes font échos chez les gens.

Opportuniste ? T’es pourtant totalement totalement légitime avec ton titre #Balancetonporc…
Merci… après jme suis dit que si ce n’est pas moi qui le faisais ça ne serait jamais fait comme j’avais envie. Vince l’a fait avec #metoo donc c’était parfait, mais c’est vrai que lorsque je l’ai fait ça ne tombait pas forcément sous le sens qu’un mec allait prendre position ensuite. Ma chanson #Balancetonporc est sortie quand toute l’affaire était à son paroxysme et du coup j’avais vraiment peur qu’on pense que je ne faisais ça que récupérer un truc.
Mais comme pour « si j’étais un homme » dans ce morceau j’avais besoin de cracher mes tripes, de me dire qu’enfin les langues se délient… mais avec toute cette médiatisation, le fait que ça touche les stars d’Hollywood. Y’a ce truc où j’ai l’impression que la parole des femmes est toujours remise en cause. Cette chanson c’était un peu ma manière de ramener la violence du fait, du harcèlement, de tous ces comportements abusifs. Si j’avais peur qu’on me taxe d’opportuniste, c’est aussi parce que je n’étais pas non plus en soutien complet au mouvement. Mon objectif c’était avant tout de refaire un constat de la situation, de mettre en valeur l’association FIT qui a été mise en avant dans mon clip, Une femme un toit. C’est un foyer qui prend en charge toutes ces jeunes femmes entre 18 et 25 ans qui ont subi des atrocités et qui permet de les réintroduire dans la société. En fait je me suis dit que l’on parlait beaucoup de tous les scandales médiatiques, mais on ne parle pas de toutes ces personnes qui travaillent tous les jours pour faire en sorte que les victimes puissent se reconstruire par la suite. Pour moi c’était vraiment important de mettre en avant, en valeur, le travail de cette association. Je ne voulais même pas mettre le titre en vente pour ne pas qu’on me dise que je faisais de l’argent sur ce sujet. Mais comme les gens réclamaient le titre sur les sites de streaming, on s’est dit que tous les fonds récoltés par ce titre iraient directement à l’association. C’est tellement facile de se faire démonter sur les réseaux, de se faire taxer d’opportuniste… chaque mot, chaque virgule peut prêter au débat et comme moi j’ai été bien servi sur les réseaux d’un point de vue commentaires et de la part des médias aussi qui aime bien recentrer ma musique uniquement sur le féminisme… Personnellement je n’ai pas envie que ma musique soit réduite à ça, à un titre, à un clip.

Surtout que dans ton EP c’est que deux chansons…
Oui, après c’est un combat que je mène et que j’assume totalement, mais c’est vrai que ce n’est pas forcément ma thématique principale. J’aime traiter ce sujet comme j’aime traiter de l’injustice en général. J’aime aussi, forcément, parler de ma vie parce qu’à la base quand j’écris c’est vrai que j’écris pour moi. Je fais ça d’une manière assez égocentrique… je prends aussi beaucoup de plaisir à être dans le second degré, l’humour noir, l’ironie… Parce que voilà, je suis tout sauf quelqu’un qui se prend la tête, j’aime beaucoup rire donc c’est important pour moi d’avoir un équilibre dans tout ce que je fais. Si je faisais un EP uniquement revendicateur, engagé, je ne suis même pas sûre que je prendrais du plaisir à la faire. En plus j’aurais peur d’oppresser les gens qui sont en face de moi. La musique pour moi à la base c’est de la distraction, des messages, des émotions et c’est vrai que c’est difficile de réduire tout ça, d’être réduit à une étiquette. Surtout que mon objectif c’est de métisser un maximum ma musique, mes thématiques… que les gens qui viennent à un concert puissent pleurer, rire, turn up et à la fin avoir kiffé le tout. Pas uniquement que je leur mette dans la gueule à quel point le monde va mal, je ne veux pas entretenir ça non plus, car ça peut vite être oppressant, il faut toujours avoir un petit message d’espoir.

Bon du coup t’arrives à turn up tout en étant revendicative…
Ahahhaha ouais on essaie… (rires)

Sale Chienne…

Oui, mais tu vois dans « Sale Chienne » on retrouve de l’ironie, du second degré… ce truc de « je retourne un peu la situation », jme positionne comme le rappeur qui vient te dire qu’il fait mieux que les autres… y’a l’auto tune, c’est un son très trap. Je suis un peu à la croisé de tout ça, des textes, du boom bap, de la trap et de l’egotrip. On est dans une belle ère en tout cas. Je suis contente de ce qui se passe au niveau du rap actuellement. Je me sens à ma place. Le rap a pris une place qui permet à des artistes comme moi d’avoir la leur. À l’époque, que tu sois une meuf ou un mec, si tu faisais une carrière dans le rap c’était un truc incroyable alors que maintenant tout le monde peut prétendre à une carrière. Enfin parmi les gens qui ont l’envie, le talent, le travail et tout ça…

Pour moi c’est une vraie réussite quand je vois des mères qui restent jusqu’à la fin de mes concerts et non pas uniquement parce qu’elles accompagnent leur enfant, mais parce qu’elles aiment ce que je fais. Qu’elles viennent me dire qu’elles n’écoutent pas du tout de rap, mais qu’elles adorent ce que je fais… jme dis que c’est beau, car si ça se trouve cette même personne demain va voir ou entendre un autre rappeur et y porter attention, elle aura réussi à ouvrir une première porte avec mes sons.

Il n’empêche que le rap en France reste très sous représenté médiatiquement…
Maintenant on se rend très bien compte avec les streams et tout que les gens consomment le rap. C’est sûr qu’au niveau des médias on est encore très très loin de l’acceptation totale, on se retrouve toujours à devoir répondre à des questions clichées… on voit avec la polémique autour d’Orelsan et sa Victoire… je ne sais pas, réveillez-vous les gars, vous êtes en quelle année ?? Je pense qu’il y a encore plein de gens qui ont tout simplement du mal à comprendre l’esprit hiphop, qui ont du mal à comprendre tout le second degré qu’il peut y avoir, qui ne comprennent pas la force de la punchline, et surtout l’intérêt d’une punchline qui est là pour te froisser un peu et te mettre face à une réalité que tu ne veux pas voir. Y’a aussi tout un problème lié à nos codes. Quand on grandit avec le hiphop c’est une éducation que l’on se fait, on comprend comment interpréter les paroles, mais c’est clair que pour les personnes qui sont externes à ce milieu c’est une éducation à avoir. Parce que si on ne te met pas les codes en main pour comprendre pourquoi on utilise tel mot, telle expression. Pourquoi cet artiste a décidé de jouer un personnage, d’interpréter un rôle, que lorsqu’il va dire pute c’est pour s’adresser au milieu du rap en fait et pas aux femmes. C’est vrai que dans le rap tout est codifié…

Sans parler du racisme intellectuel dont est victime le rap…
Bien sûr, quand Zemmour disait que le rap était une sous-culture d’analphabète alors que le rap regorge de poètes incroyables. Donc c’est vrai qu’il y a un gouffre et comme les médias sont dirigés par des personnes qui ne nous comprennent pas, y’a encore cet esprit très vieille France.

La reconnaissance

Je pense que dans la rap, enfin de ce que j’ai pu constater, il y a beaucoup d’ego et c’est vrai que chaque artiste a, dans le fond, cette envie, ce besoin de reconnaissance. Ce serait hypocrite de venir te dire le contraire. Se faire valider c’est important parce que sinon tu ne sais jamais vraiment ce que tu vaux. Moi par exemple, quand on a proposé de faire un feat avec Lino je ne savais pas s’il aimait ce que je faisais, il avait le choix de refuser. Le fait qu’il accepte pour moi c’était incroyable, surtout qu’à ce moment-là j’en suis qu’au tout début, que j’ai encore beaucoup de travail à faire, de choses à prouver… en plus on n’est pas du tout de la même époque, on ne fait pas le même style de rap, on n’aborde pas les sujets de la même manière et surtout c’est un des plus grands lyriciste du rap français. Pour moi avoir eu Lino sur un titre c’est un honneur, car au final je me dis qu’il y a aussi le choc des générations et pourtant ça n’empêche pas de faire des connexions… Je sais pas, mais un Lino et Chilla c’est quand même un truc un peu inattendu… ça m’a donné tellement de force, de confiance en moi de me faire valider par des grands comme ça… tu sais quand Tefa m’appelle, ça fait un an que je rappe, quatre mois que je me prends au sérieux… ça paraît quasi impossible en fait ce qui s’est passé pour moi.

Je vis dans un monde d’hommes, je suis entourée d’hommes et je ne me suis jamais positionnée comme la jeune femme qui subit l’oppression des hommes et ça, c’est valable pour tous les sujets, il ne faut pas se braquer uniquement sur le négatif. J’essaie de me dire que s’il y a du négatif, le meilleur moyen de ne pas se laisser plomber par tout ça c’est justement d’en extraire le positif.

Quand on t’entends, on se dit que finalement ce n’est pas si difficile pour une femme de faire du rap…
Ah ben non pas du tout. En fait je pense que ça a été très compliqué à certaines époques et je donne toute ma force à ces meufs qui se sont battues pendant des années pour garder leur place, pour s’imposer dans le rap. Moi j’arrive à un moment où c’est un peu inespéré… je peux faire carrière là où pas grand monde ne l’a fait. Après je n’en suis qu’au début et j’ai aucune idée d’où cela va me mener, je touche du bois, car on n’est jamais à l’abri que demain tout s’arrête, mais j’ai été accueilli les bras ouverts. Les rappeurs se sont positionnés comme des grands frères auprès de moi, je n’ai eu aucun comportement déplacé… à part sur les réseaux sociaux bien sûr parce que le public lui a du mal. Mais pour le reste ça donne beaucoup d’espoir et je me sens parfaitement à ma place dans ce monde.

Et pour terminer le rap suisse, t’en dis quoi ?
J’adore tout ce que Di-Meh, Makala, SlimK font… ils me touchent de fou, en plus ils turn up en concert comme personne, on a rarement vu des rappeurs aussi punk. J’adore aussi ce que fait Danitsa, ça fait un moment que je la suis, depuis le début en fait avec sa première vidéo en mode reggae… J’écoute Flèche Love aussi, je l’adore. Après y’a beaucoup d’artistes que je ne connais pas encore, mais je suis contente parce que je vois que pour la Suisse c’est un peu comme pour la Belgique, c’est-à-dire qu’il y a eu beaucoup d’ignorance pendant des années, mais maintenant le rap français c’est devenu le rap francophone et les Belges et les Suisses ont enfin la reconnaissance qu’ils méritent.