Akua Naru est l’une de ces rares artistes qui réussit parfaitement à transmettre un message militant tout en n’oubliant pas que le rap c’est aussi de la musique, un peu à l’image de ce que pouvait faire Lauryn Hill il y a quelques années. Profitant de sa venue au Festi’Neuch, repreZent s’est entretenu avec elle, de ces discussions qui si elles ne refont pas le monde nous ouvrent quand même un peu plus les yeux sur celui-ci.

repreZent : Comment est-ce que tu pourrais décrire ta musique ?
Akua Naru : Je pense que ma musique est très inspirée par le jazz, cultivé par le Hiphop… un Hiphop politiquement progressiste.
 
Et comment penses-tu que le public décrit ta musique ?
Pour être honnête je n’ai absolument aucune idée et j’essaie de ne pas me focaliser, de garder une certaine distance entre ce que je veux communiquer, ce que je veux atteindre par la musique et ce que les gens disent à propos de ma musique sinon tu peux vite te perdre. Je sais ce que cela signifie pour moi, mais le fait est que, quelque soit ton expression artistique, dès que tu crées quelque chose et que tu le partages alors cette chose ne t’appartiens plus vraiment, il prend vit pour et par les autres et ce qu’ils ressentent en y étant exposé. Chacun y trouvera ainsi sa propre définition…
 
Mais n’as tu pas des souhaits, des attentes lorsque tu crées sur comment pourras être perçue ta musique ?
Bien entendue, lorsque tu fais de la musique, que tu composes, tu espères, que les autres vont avoir les mêmes ressentis que toi à son écoute et en ce sens j’ai vraiment de la chance que tant de monde m’écoute et apprécie ce que je fais. Particulièrement parce que je fais quelque chose avec un message politique très marqué et que c’est justement de transmettre ce message qui est important pour moi, c’est agréable de savoir que des gens partagent mon point de vue.
 
Le message justement c’est quelque chose de très important pour toi, mais est-ce que tu penses qu’une chanson pourrait changer le monde ?
Je pense que la musique est quelque chose de très puissant et je suis persuadé que des musiciens comme Bob Marley, Nina Simone, Fela Kuti ont changé la perception des choses, du monde pour beaucoup de gens après qu’ils aient écouté leur musique, ou encore Lauryn Hill et tous ces artistes qui ont apporté quelque chose de vraiment significatif.
 
Lauryn Hill justement, on pourrait assez facilement te comparer à elle…
Je ne pense pas que l’on puisse comparer quelqu’un à Lauryn Hill, je veux dire par là que Lauryn Hill est ce qu’elle est, ce qu’elle a fait pour notre culture… c’est juste une autre classe. Mais c’est aussi vrai que les gens ont souvent besoin de faire des comparaisons pour comprendre et en ce sens c’est un honneur d’être comparé à une artiste telle que Lauryn Hill.
 
Tu vis maintenant en Allemagne, comment ressens-tu tout ce qui se passe actuellement aux USA ?
Qu’est-ce que tu crois, je suis une femme black américaine… Si tu avais cet héritage de plus de 400 ans, cet héritage d’esclavagisme, de colonialisme, de brutalité policière, de profilage racial, de marginalisation… Je pense que ce que je ressens devrait être assez clair sur ce qui se passe. Quand les gens que tu aimes, qui sont comme toi, à la fin de chaque journée ne pensent qu’à une chose c’est survivre. De voir que ton peuple, une nouvelle année, un nouveau jour, une nouvelle heure est toujours traité de la même manière… comment penses-tu que l’on se sent ??
 
Je ne sais pas, enfin je veux dire que l’on peut essayer d’imaginer, mais ce n’est pas possible de savoir, de ressentir cela depuis la Suisse, un pays qui n’a pas connu l’esclavagisme ni le colonialisme, un pays où certes le racisme est présent, mais pas à la même échelle qu’aux USA. On est finalement très très loin de tout cela ici… et même si l’on peut comprendre, en fait on ne peut pas vraiment comprendre…
Je suis très en colère en fait, ça me rend triste, beaucoup d’émotions se bousculent en moi…
 
Des émotions que tu peux transmettre par ta musique maintenant, est-ce aussi pour cela que tu fais de la musique justement ?
Tu sais, j’aime beaucoup la musique, j’ai grandi dans une église, j’ai aussi toujours beaucoup aimé la poésie, j’ai d’ailleurs écrit beaucoup de poèmes et j’ai réalisé que si je recyclais tous ces écrits en musique alors ça serait du rap. Et je me suis OK, c’est ça que je veux faire donc j’ai continué de m’exercer, d’écrire pour mettre en musique toutes mes pensées et c’est devenu ma vie… c’est ce pour quoi j’étais faite.
 
Comment penses-tu pouvoir toucher plus de monde avec tes textes à une époque où finalement les gens n’ont pas forcément envie d’entendre les choses que tu as à dire…
Tu sais, je ne fais pas de musique pour ces gens là, les faits sont là et s’ils veulent juste fermer les yeux pour ne pas voir, qu’ils ne veulent pas écouter… finalement ce sont des gens qui s’octroient des privilèges. Il y a des gens qui risquent leur vie chaque jour, des gens qui meurent chaque jour, des gens’ n’ont pas l’accès à des biens élémentaires, des gens qui travaillent pour des salaires de misère, et la liste est infinie… Si certains ne veulent pas affronter cette réalité, il y a de la musique pour eux, de la musique qui les confortera dans leur monde. Ils ne m’écouteront pas, mais ce n’est pas mon problème au final. Chacun choisit ce qu’il veut entendre ou non, c’est aussi la beauté de notre monde.
 
Est-ce que tu penses que pour certains il n’est finalement pas préférable que les gens n’ouvrent pas les yeux, qu’inonder le monde avec de la musique sans fond est une façon de le garder à sa botte ?
Totalement, il suffit d’analyser les textes et les messages véhiculés par la musique « mainstream » actuelle pour comprendre quelle vision du monde certains veulent imposer. J’ai lu récemment que quelqu’un avait analyser le contenu de la musique « mainstream » actuelle était, lyricalement parlant d’un niveau d’école primaire. Je ne sais pas qu’est-ce qui a été analysé, car je n’ai pas fait la recherche, mais ce que je sais c’est qu’il est difficile d’exprimer des choses profondes, argumentées avec le niveau d’écriture d’un enfant en maternelle. Je suis persuadée qu’il y a un agenda sur ce qui doit être mis en avant dans la culture, et pas uniquement dans le Hiphop, et que ses buts sont très clairs.
 
Malgré cela tu continues…
Oui, car malgré tout il y a beaucoup de gens qui ne se laissent pas influencer, je viens d’apprendre que mon concert serait sold out, je suis en tournée et je vois beaucoup de monde qui vient, des gens qui savent de quoi il en retourne, qui ouvrent les yeux. Je me sens inspirée par les gens, je suis bénie de pouvoir voyager à travers le monde, de rencontrer tant de personnes qui sont prêtes au changement, au progrès. Il y a tant d’activistes, d’associations qui travaillent partout à leur échelle à faire évoluer les choses, ces gens m’inspirent, ils me permettent d’aller de l’avant.