Entretiens à la clé, le principe de [Back to Basics] est de revenir sur des structures qui ont participé, à plus ou moins long terme, au développement du mouvement Hip-Hop en Suisse Romande et certainement plus loin. Parce qu’il est bon de bâtir sur de solides fondations.

[1] JD/Vinyl Resistance (1998-…)

4 avril 2019. La température a chuté et la neige tombe à intervalles irréguliers sur la ville. C’est presque un retour en hiver le jour où je rencontre JD. C’est aussi la veille d’un évènement majeur qui, pour le coup, lui en touche une sans faire bouger l’autre. Et pour cause, s’inscrire Dans la légende  demande du temps. Et contrairement aux Deux frères des Tarterêts, JD écrit la sienne depuis vingt-cinq ans.


Reprezent: Présente-toi…
JD: JD, Vinyl Resistance, on fête les vingt-cinq ans du magasin cette année. Je viens de Thônex, depuis 88’ dans le Hip-Hop. 

R: Quelle a été ta motivation pour ouvrir le shop ?
JD: Il y avait un très gros manque de vinyles sur Genève, et pour les DJ’s et pour les collectionneurs comme moi. Du coup comme j’avais deux, trois connexions à Paris, en Angleterre et vu l’engouement; j’ai ouvert le magasin. Il manquait un shop spécialisé Hip-hop sur Genève. Sinon c’était toujours un petit bac dans les magasins où le mec disait qu’il arriverait pas à avoir plus que les deux exemplaires qu’il avait en stock…

R: A l’époque de Terrassière [NDR: le magasin a connu deux emplacements, rue de la Terrassière et rue Terreaux-du-Temple où il se trouve encore aujourd’hui], une des tes forces était que tu montais à Paris pour ramener les nouveautés et du coup tu avais tout avant les circuits de distribution classique. Tu continues à faire ça ?
JD: Ouais je fais toujours, mais moins qu’à l’époque, vu que les gens achètent moins de supports « physiques ». Pour te donner un exemple, je vends deux ou trois CD à la semaine. Ce qui fait que c’est plus compliqué de rentabiliser les voyages en fait. Il y a eu une baisse radicale des ventes « physiques », à part pour les vinyles. Ca arrange bien les compagnies la disparition du support physique: plus de stocks, plus de personnel, tout se retrouve en Inde, géré par une rangée d’ordinateurs.

« Les meilleurs souvenirs, avec Vinz [DJ Vincz Lee], Chill Pop, où on passait des nuits entières dans le shop à écouter les arrivages. On décortiquait tout. »

R: Tes meilleurs et pires souvenirs liés au shop ?
JD: Les meilleurs souvenirs, avec Vinz [DJ Vincz Lee], Chill Pop, où on passait des nuits entières dans le shop à écouter les arrivages. On décortiquait tout. Je me souviens aussi des premiers français à être passés dans le magasin: Busta Flex avec son 1er maxi Kick avec mes Nike. Il était passé pour le vendre. Stomy [Stomy Bugsy] qui est passé faire des dédicaces. Booba ; Rohff au magasin d’habits. JR Ewing. Beaucoup de mecs d’Arsenal en fait [Arsenal Records, Label de musique français]. A l’époque les mecs se déplaçaient, ils passaient au magasin pour vendre leurs disques, quand ils étaient en concert à Genève ou dans la région. Rim’k, 113…des américains j’en ai eu aussi mais plus undeground : Afu-ra, Reks, Dj Spinna [Producteur de Brooklyn] complètement flippé. A l’époque, il jouait au Silencio et il était passé au magasin en disant à son manager qu’il en aurait pour 15 minutes pas plus. A chaque fois qu’il était dans une ville, il passait dans les shops pour digger [fouiller les bacs de disques]. Il arrive au magasin, me dit même pas bonjour, mais pas par manque de respect: il s’était jeté sur une caisse de 45 tours pour fouiller. Ensuite il me dit qu’il n’a jamais vu un magasin aussi fourni en disques dans le monde. Après une heure, je lui ai proposé de descendre à la cave. « Ah, parce que t’as encore une cave ? » et il descend pour continuer à fouiller, tandis que son manager n’arrêtait pas d’appeler pour qu’il aille faire le soundcheck. Ils ont dû le tirer du magasin après 1h30 et il est parti avec une pile comme ça de disques [en mimant le geste d’une énorme pile]. Il a trouvé un album des Jungle Brothers qu’il avait jamais vu de sa vie. Même sur New-York, il le trouvait pas.

Et la pire anecdote pour moi, c’est Kheops [DJ du groupe IAM]. Pour moi ça restera tout ce que je déteste le plus chez un DJ et chez un artiste. Le mec est arrivé dans le magasin en me prenant de haut. Ensuite il a essayé de me refourguer les mixtapes en carton groove [vendues à l’époque avec le magazine du même nom] à un prix pas possible. « Je suis le DJ d’IAM », le mec ne me respectait pas. « Ben tu sais quoi ? J’en ai rien à foutre »-« Ouais, mais moi je les vends sur Lausanne ces mixtapes…». Mais va à Lausanne, ici t’as rien à y faire. Les gens peuvent dire tout ce qu’ils veulent sur Booba, sur Rohff. Mais les mecs arrivent au magasin, disent bonjour, font leur taff, signent des autographes…Alors que lui [Kheops] était vraiment prétentieux.

R: On se rend bien compte du rôle qu’a tenu un magasin comme Vinyl Resistance sur Genève…
JD: Pour le développement du Hip-hop, on avait besoin de magasins comme le mien. Ce n’était pas la Fnac, Media Markt ou Frequence Laser à l’époque qui soutenaient le mouvement. Ils prenaient le haut des charts, du P.Diddy pour les cainris ; mais ils ne prenaient pas le petit maxi de kick avec mes nike, de Ill des X-Men ou de n’importe quel mec underground de l’époque. Moi je « connaissais » les gens, j’avais rencontré Fabe à l’époque dans le 18ème pour aller chercher le premier EP de Koma. Même à l’heure actuelle je travaille toujours avec la Scred’ [La Scred Connexion, groupe parisien], j’ai encore vu Mokless la semaine dernière…

R: Tu penses quoi de l’évolution du rap ?
JD: Hyper-positive, je kiffe. J’ai pas de barrières. Du reste je me suis fait un peu craché dessus par les puristes à l’époque où j’ai commencé à vendre du R&B. J’adore ce style de musique, les DJ et les gens étaient demandeurs, j’ai un magasin, je dois faire tourner le business. Pour revenir à la question, ça a pris une ampleur que l’on aurait voulue à l’époque, mais maintenant, pour les soi-disant puristes, c’est tout pourri. Je suis pas d’accord avec ça, même si je n’aurais pas tenu ce discours-là 25 ans en arrière quand j’ai ouvert le magasin. J’écoutais du hardcore anglais, ce qu’on appelle le britcore à l’heure actuelle. Et en français Assassin, NTM. Les anglais sont vraiment à part, les trois-quarts du temps ils ne s’exportent pas mais beaucoup s’en inspirent. S’inspirer, les Etats-Unis le font souvent. Pour l’anecdote, il y a quatre ou cinq ans, Dr. Dre a passé quasiment un mois à Ibiza pour s’imprégner de l’ambiance, parce qu’ils sont dans une mouvance euro-dance à l’heure actuelle. C’est pour ça qu’un mec comme Guetta [David Guetta, DJ français] a explosé aux Etats-Unis, que DJ Snake [DJ français] explose aux Etats-Unis, parce qu’ils aiment ce style-là. Ils ne sont plus aussi regardants comme peuvent l’être encore les européens et leur côté puriste. Et pourtant aujourd’hui le rap, c’est la pop music de la génération 2000’. 

R: Et ton avis sur le rap genevois ?
JD: En ce moment, ça pète tout. Ce qui est très bien pour eux. Pour une fois, ils sont enfin structurés et font ça avec professionnalisme. Chose qui n’a pas vraiment été le cas avant, à part pour les DJ genevois, notamment Vinz. Les rappeurs, eux, prenaient ça à la « rigolade », comme un passe-temps ou par passion. Mais ils ne faisaient pas ça pour « s’en sortir ». On a pas les mêmes problèmes que les américains, que les français…Y a eu quand même Serge [Nega, de l’ancien groupe genevois Double Pact], les petits boss, mais ça n’a jamais été très loin. 

R: Pour revenir sur les puristes, c’est quand même particulier…
JD: Pour moi un puriste, c’est comme un extrémiste. T’en as dans tous les milieux. Et pourtant comme je t’ai dit, j’étais comme ça avant que j’ouvre le magasin. Et heureusement pour moi, je me suis ouvert à d’autres choses. C’est comme pour l’évolution des rappeurs : Je préfère voir un Soprano qui a évolué, posé avec des gamins, qu’un mec soi-disant underground, mais à fond dans la came. Tant que les mecs sont en phase avec ce qu’ils pensent et ce qu’ils disent…

« C’est en côtoyant de plus en plus de rappeurs français que j’ai de moins en moins aimé le rap français.»

R: Demain sort le 4ème album solo de PNL, qu’est-ce que ça te fait ?
JD: Rien du tout. Alors franchement pour moi PNL, c’est un groupe inexistant. Je savais même pas que ça sortait demain. J’ai regardé leur clip l’autre jour, parce que tout le monde en parle, mais j’accroche pas. C’est d’ailleurs cette nouvelle génération de rappeurs qui n’ont plus besoin de nous. Quand je dis « nous », ce sont les distributeurs indépendants, les magasins…à l’heure d’internet, un magasin comme le mien n’a plus lieu d’exister, les gens n’ont plus besoin de moi. Comme je te disais avant, je montais à l’époque sur Paris les mardi, parce que le mardi c’était jour d’arrivages américains et de sorties françaises. Alors que, pour l’anecdote, à part NTM et Assassin, j’aimais pas le rap français. Toute la vague Time Bomb [label et collectif de rap français monté en 1995 qui réunissait entre autres le groupe X-men (alors composé de Hi-Fi, Ill et Cassidy), Lunatic (Booba et Ali), Oxmo Puccino et son frère Pit Baccardi], La Cliqua, j’ai jamais aimé. J’avais eu une discussion avec Kool Shen qui me disait que son rappeur préféré c’était Oxmo Puccino, moi je lui disais « j’aime pas ». Pareil pour Rocca. Je le croisais dans les bureaux d’Arsenal, il était tellement imbus de lui-même, un ego surdimensionné. C’est en côtoyant de plus en plus de rappeurs français que j’ai de moins en moins aimé le rap français. Je me suis souvent rendu compte que leur discours n’était pas du tout la même chose que leur vécu. Que ce soit pour s’inventer une vie ou faire la morale. Les mecs te tiennent des propos sur disques mais la première chose qu’ils te demandent quand ils arrivent en Suisse, c’est où sont les putes et la coke.

R: La suite concernant le shop ?
JD: Je dévie sur d’autres styles, c’est comme ça, c’est l’évolution. Les rockers achètent encore des vinyles. Sur une journée comme samedi, j’ai vendu deux disques de rap. 80 % de mon magasin concerne le rap, alors que 80 % de mes ventes découlent des 20 % restant d’autres musiques. Des vinyles, j’en vends aujourd’hui principalement aux collectionneurs et à quelques DJ. Mais c’est en train de revenir, c’est cyclique…

par Marty MacFly