Interview : Kurtis Blow & The Furious Five

62793grandmaster_flash_the_furious_five_On ne présente plus les légendes et pionniers du Hiphop que sont Kurtis Blow et The Furious Five, par contre on en profite pour vous rappeler qu’ils seront en live samedi soir à La Case à Chocs de Neuchâtel pour clôturer une journée dédiée à notre culture. Afin de nous mettre l’eau à la bouche, repreZent vous offre un interview paru sur le site du journal neuchâtelois l’Express réalisé par Yann Hulmann.

Comment l’histoire des Furious Five a-t-elle débuté?
Kid Creole: Au début des années 1970, on était comme tous les adolescents qui traînaient dans le quartier. On jouait au basketball, au football américain, on chassait les filles. Certains breakaient, jouaient les DJ’s et tout le monde savait que l’on pouvait trouver quelque part un micro. Un gars débarquait et disait «On a de la poudre… On a de l’herbe!». Je me rappelle de Melle Mel qui criait: «My name is Melle Mel and I rap so well…»

Un souvenir en particulier?
Scorpio: Lorsqu’il fallait transporter de «block» en «block» le matériel. Les haut-parleurs et les caisses. Une caisse pouvait peser jusqu’à 70 livres (réd: 31 kilos). Et on déplaçait tout ça pour des soirées qui n’avaient parfois jamais lieu. On devait aussi s’arranger pour trouver du courant dans la rue.

Comment se déroulaient ces soirées?
Kurtis Blow: Le DJ était le «boss». Il passait seulement le micro au MC’s s’il était cool et il n’hésitait pas à le couper s’il en avait envie. Nous, les MC’s, on portait le matériel, on donnait un coup de main… ça nous permettait d’entrer à l’œil dans les soirées, les clubs… On pouvait aussi être vers la scène. Et si tu étais vers la scène, tu étais un homme, et tu avais les filles. C’est comme ça que l’on a commencé dans le milieu du hip-hop. Du plaisir, de la musique, James Brown, les sons de la Motown, Jimmy Castor et tous les «funky funky sounds». Tout ce qui bougeait sauf le disco. Quand il y avait du disco, ah…!

Comment voyez-vous l’évolution du hip-hop depuis cette époque?
Melle Mel: Aujourd’hui, il n’y a plus la même énergie. Plus la même créativité. La musique c’est la culture. Aujourd’hui, on a des gars qui disent qu’ils veulent juste faire de l’argent. C’est toute l’industrie qui entoure la musique le problème. Elle prend n’importe quoi et y colle l’étiquette hip-hop. Ils renient le hip-hop, ils l’ont pris en otage.

Kurtis Blow: Avant que l’on ne commence à enregistrer, la breakdance, le graffiti, le DJ, tout était réuni. Les breakeurs étaient le public, le DJ faisait le show et les MC’s se chargeaient de donner du plaisir aux gens.

L’évolution du DJ a été essentielle. Au départ, il laissait aller les morceaux. Un titre de James Brown dans son intégralité, par exemple. Puis ils ont commencé à glisser des breaks dans les morceaux… «so funky drummer’s breaks». Grand Master Flash a compris que c’est sur ces breaks que les gens s’éclataient, devenaient fous, qu’ils plaçaient leurs meilleurs mouvements, leurs meilleurs pas de danse. Alors, il les a prolongés jusqu’à trois ou quatre minutes. Il a laissé évoluer le break pour déboucher sur le breakbeat… (réd: démo en direct de Kurtis Blow et Scorpio). C’est comme ça que, nous, les MC’s, on a eu l’opportunité de ne plus simplement faire les annonces du genre «Et maintenant… James Brown…!»

Qu’est-ce que cela a changé pour vous?
Kurtis Blow: On a commencé à rapper. Comme les DJ’s ne se limitaient plus à laisser filer les morceaux qu’ils plaçaient des breaks, on s’est mis à raconter des blagues, des histoires, on draguait les filles, toujours plus de filles. Grand Master Flash nous a fait passer au niveau supérieur. Il nous a donné le breakbeat. On s’est mis à enregistrer. On est devenu les éléments les plus importants du show. Le DJ est passé au second plan. Les choses se sont compliquées lorsque l’on a commencé à signer des contrats. Ça a posé des problèmes pour les droits. Comme entre The Furious Five et Grand Master Flash…

Quels sont les meilleurs souvenirs de votre longue carrière?
Scorpio: On a tous nos propres souvenirs. Moi, c’était dans le Bronx. J’ai en mémoire notre premier enregistrement. On était des locaux, on se baladait dans le quartier… Je n’oublierai jamais le jour où notre morceau est passé pour la première fois à la radio. Toutes les personnes qui nous connaissaient nous ont regardés autrement. Ça été un vrai moment, «the real moment». C’était incroyable. Nous n’avions pas plus d’argent, pas de voiture non plus mais quelque chose avait changé. Les gens dans le quartier ne nous regardaient plus de la même manière. C’est là que j’ai compris que le hip-hop allait aller loin et durer.

Dynamique: Mon souvenir favori… C’est une soirée où l’on se trouvait devant un hôtel sur Sunset Boulevard, à Hollywood. Mohammed Ali est passé devant nous au volant d’une voiture marron clair. Il nous a regardé et nous a lancé: «Vous! Vous les gars… Vous êtes de mauvais garçons. Très mauvais garçons!» Je me souviens parfaitement de cette soirée. Etre reconnu par un type comme Mohammed Ali… C’était énorme!

Et un petit rappel de ce qui vous attend samedi:

«Nous avons voulu permettre aux plus jeunes de mieux connaître, voire découvrir, le hip-hop Old school. Mettre en place un dialogue entre toutes les générations». A l’instar des New-Yorkais de Furious Five, le Neuchâtelois Pô, estime que le rap actuel a dérivé vers des intérêts trop commerciaux. Avec ses complices Saphir et Cartoon, aussi actifs sur la scène musicale underground, il a donc décidé de mettre sur pied, samedi à La Case à chocs de Neuchâtel, une journée entière dédiée au hip-hop Old school.

«Dans les années 1994-1995, l’arrivée de groupes comme Wu-Tang Clan a marqué une cassure entre Old et New school», détaille Pô. «Avant, lorsque l’on se lançait dans le hip-hop, c’était plus difficile. Les anciens avaient une grande influence sur le mouvement. Il fallait montrer ce que l’on valait et ensuite seulement on était reconnu. C’est un peu ça qui me manque. C’est vrai que le côté bling bling était déjà présent mais le hip-hop véhiculait encore un message. Aujourd’hui le seul message c’est: «J’ai réussi, j’ai de l’argent, une bagnole, des nanas… Je ne dis pas qu’il n’y a plus de bon hip-hop aujourd’hui, mais celui-ci est désormais noyé dans la masse.»

Histoire de faire dialoguer les générations, les organisateurs de la journée de samedi ont choisi de présenter le hip-hop en tant que culture à part entière. «Il y aura du graf, un contest de breakdance avec un jury de qualité et des prix, une démo de l’école Giant Studio», explique Pô. «Mais aussi une table ronde à l’Interlope (19h) pour discuter de l’évolution du hip-hop.»