Le 18 avril, l’écrivain Myles E. Johnson publiait un article dans noisey.vice.com sur l’absence de Big Freedia dans les clips de Drake et Beyonce. Partageant l’avis de son auteur, repreZent a décidé de ne pas faire comme Drake, on vous propose donc notre traduction.

Si c’est la voix de Big Freedia, artiste queer noire de la scène bounce de La Nouvelle-Orléans que vous entendez dans le dernier morceau de Drake « Nice For What », ce n’est pas son visage que vous voyez dans le clip mais celui d’une blonde, blanche. C’est également la voix de Big Freedia qui affirme « I did not come to play with you hoes! » dans « Formation » de Beyonce, mais nulle trace de son visage dans le clip. Et si son style, ses textes, sa voix et son énergie sont très appréciés, son visage n’apparaît jamais sur les écrans mainstream. C’est quelque chose de très particulier quand on y pense car généralement si l’on entend une voix mais que l’on ne voit ni corps ni visage, c’est que cette personne est morte. Ce qui n’est pas le cas de Big Freedia qui est pourtant traitée comme telle par les artistes mainstream avec qui elle collabore.

Big Freedia est certainement l’un des plus grand talent émanant de La Nouvelle-Orléans ces dix dernières années et c’est grâce à elle que ce que l’on nomme la bounce music est devenue si populaire. Lors de ses concerts, elle apporte ce fameux esprit de La Nouvelle-Orléans avec elle. Ils sont remplis d’énergie, sont transpirants, soulful. Et c’est certainement pour cela que Big Freedia a percé. Mais Big Freedia est également un homme noir gay dont le genre va bien au-delà des a priori binaires. C’est pour cela que l’on entend souvent la magie de Big Freedia, mais que l’on voit moins souvent la magicienne.

On pourrait penser qu’à l’heure actuelle, et plus encore dans le milieu culturel, ce genre de « transgression » des genres n’est plus un problème, dans une interview pour The Fader, Big Freedia s’exprimait sur sa non-présence dans les clips d’artistes avec qui elle a collaboré « Vous savez, ma voix est présente sur beaucoup de projets et les gens ont envie d’utiliser la bounce music dans leurs projets, mais quand vient le temps de la reconnaissance, de ma présence dans leurs clips… c’est quelque chose sur lequel on travaille afin que ça arrive. »

Big Freedia n’est pas la seule à souffrir de ce rejet, les artistes noires queer ont très souvent été utilisées pour leur créativité et effacées des supports visuels afin de ne pas heurter la sensibilité hétéronormée du public, généralement blanc. Voir cette femme blonde à l’écran alors que c’est la voix de Big Freedia que l’on entend n’est pas sans rappeler la performance de Madonna sur « Vogue » lors des MTV Music Awards de 1990. Elle puisait alors dans la dance et la culture queer noire et latino pour la rendre blonde, blanche, afin de la montrer au public mainstream. Il est fréquent que des stars comme Nicki Minaj, Beyonce ou Lady Gaga travaillent avec des artistes queer noires pour leurs maquillages, leurs vêtements, leurs chorégraphies ou dans la direction créatrice. Il reste par contre très très rare de voir des artistes queer noires invitées sur le devant de la scène.

Les relations de Big Freedia avec le courant mainstream illustre parfaitement ce qui reste encore comme un tabou. C’est encore plus offensant car son talent apporte une plus-value à chacune de ses contributions. Cela devrait suffire à lui offrir la visibilité qu’elle mérite en retour. Malheureusement la peur de heurter une certaine partie du public demeure, et les artistes mainstream tremblent à l’idée de montrer à la face du monde que ce style, cette voix sont en fait ceux d’une grande queer noire…

Si Jay-Z parle ouvertement de l’homosexualité de sa mère dans son album « 4:44 », le monde du rap reste généralement bien silencieux sur l’homophobie et plus encore sur l’acceptation de la culture queer. La nouvelle génération d’artistes comme Young Thug, Lil Uzi Vert ou Tyler, The Creator semble prête à « assumer » cette influence pourtant personne n’ose faire le premier pas. Des artistes comme Cakes Da Killa ou J Boogie restent confiné.e.s dans un anonymat relatif à cause de leur sexualité, mais ce n’est rien en comparaison à ce qui arrive à Big Freedia qui se voit refuser l’accès à un succès mérité simplement parce qu’elle sort du cadre, qu’elle pourrait heurter la sensibilité du public des artistes avec qui elle collabore… des artistes qui pourtant font succès grâce à ses contributions. Big Freedia se fait siphonner, on lui prend tout ce qu’elle peut offrir sans lui rendre ce qui lui est légitimement dû et cela est inadmissible. Plus encore quand cela vient de personnes qui ont un statut qui leur permettrait de faire accepter les différences. On ne peut pas s’inspirer d’une identité, d’une culture uniquement dans un sens, et il faut parfois prendre des risques commerciaux pour faire ce qui est juste, de mettre en avant celles et ceux qui nous inspirent.

Dans son dernier clip, Drake avait l’opportunité de prendre une position claire sur l’homophobie et l’apport de la culture queer dans le rap, rompre avec cette tradition d’utiliser la créativité des queers noires sans l’assumer. Il ne l’a pas fait alors que ce choix aurait permis de faire évoluer les mentalités.
Si un travail, quelque qu’il soit est assez bon pour être utilisé, pourquoi est-ce que le corps d’une queer noire, l’être humain qui l’a créé ne pourrait pas le représenter ?

L’article dans sa version originale, en anglais : noisey.vice.com.