damso par Sacha Roth

Damso… Qu’est-ce qui n’a pas été dit ou entendu à son sujet ces derniers mois? C’était déjà le cas lorsque nous l’avons rencontré fin janvier au Beat Festival à Genève et ce le sera encore demain, et sans aucun doute après-demain, qu’importe quand cet article sera lu finalement car cela fait plus de vingt ans que l’on attend de pouvoir dire que c’était hier. 
Damso n’est qu’un rappeur de plus à être victime de ce qui se cache sous des parures de vertus mal placées. De ce racisme ordinaire, ce racisme de classe qui se complaît dans un monde où le rappeur serait à l’origine de tous les maux de la société alors qu’il n’en est que l’allégorie.

Or pour comprendre Damso, pour comprendre le rap il faut aller au-delà du texte, au-delà de la vulgarité « c’est tout un jeu, c’est bien plus compliqué que ça, c’est plus complexe », la rhétorique du rap a cela de particulier, elle répond à ses propres codes. Et si le texte doit se lire au-delà de son sens premier, pour le comprendre il faut connaître ce qui nourrit l’artiste «ça me fait du bien d’écrire, je suis quelqu’un qui ne parle pas beaucoup en général, ce que j’ai à raconter je l’écris tout simplement… mais c’est surtout un mélange de plein de choses. C’est aussi une affaire de codes, de technicité qui me permet de pouvoir exprimer ce que je veux d’une manière qui va bien fonctionner, qui va avoir une alchimie avec le beat tout en restant en lien avec ce que je pense, ce que j’ai envie de dire… même si parfois ce n’est pas la même chose…»

Une technicité, une façon de poser ses mots sur le beat qui démarque Damso des autres rappeurs et qui font de lui un mc hors pair comme il l’a prouvé dans son couplet sur 113 «j’ai reçu la prod une semaine avant la bouclement… j’ai été tout de suite inspiré, j’ai voulu faire le truc de manière totalement différente. Je ne suis pas parti dans les temps, je n’ai pas voulu tenir vraiment compte de ce qui marque le beat, que ce soit les kicks, les snares, etc. Alors je suis parti hors temps, je me suis libéré tout en restant quand même dans les temps… Je m’étais mis un petit défi. Au final ça a bien donné, mais pendant un petit moment je me suis quand même dit que c’était risqué, qu’il n’allait pas forcément comprendre. Je voulais juste essayer un autre truc pour changer un peu».
Ça à l’air si facile quand Damso le dit… «ça vient tout seul, j’ai pas vraiment d’explications… peut-être que j’analyse tout dans ma tête sans vraiment m’en rendre compte… mais tout ça c’est spontané, tout est fait spontanément. Mon travail c’est avant tout fait au feeling. Maintenant c’est un feeling travaillé, j’écoute les prods, je corrige des trucs, etc. Mais c’est toujours au feeling, si j’ai le feeling de poser hors temps je vais travailler dans ce sens.» Et pour qui connaît un peu sa carrière, cette phrase la résume parfaitement. Mais au fait, d’où lui vient tout ça, comment est-il tombé dans le rap ? «J’étais très jeune, je pense même que j’étais bébé parce que mes frères en écoutaient… donc c’est difficile pour moi de dire que je m’en souviens parce que je suis né dedans.»

On peut donc remercier ses frères…
«Mon frère rappait, ça m’a inspiré. Il était libre dans son rap et je crois que c’est ça que je tiens de lui. Ce que j’aimais c’est qu’il pouvait raconter ce qu’il voulait, que ce soit sa journée qui s’était mal passée, un truc sur une meuf bien précise… ou sur la société. J’ai commencé par faire des prods et petit à petit j’ai commencé à rapper sur mes prods. Je me suis alors rendu compte que je pouvais dire ce que je voulais. Je pouvais même rapper sur le fait de rajouter un kick ou un snare… faire une rime sur le fait que j’avais mis un clic ou un clac… et que ça donnait un vrai son. Avec le rap tu peux raconter tellement ce que tu veux… je suis parti comme ça».

Heureusement Damso ne se limite pas à parler technique de création dans ses textes, bien au contraire. Mais se voit-il pour autant comme un porte-parole ? «Lorsque je suis derrière le micro en studio je ne me dis pas qu’il faut que je fasse un son qui va aider telle ou telle personne… non c’est pas mon but premier. Ma musique est très personnelle, elle peut aider des personnes, mais c’est avant tout un truc personnel. Je ne me dis pas que je dois faire ça pour aider les gens qui ne sont pas bien. Mon but c’est surtout de raconter des choses, et comme finalement on est tous humains, les trucs que je raconte peuvent toucher d’autres humains, car ce que je dis n’est que la vérité. Je ne mens pas, je ne me mens pas, je ne m’invente pas une vie, je décris juste ma réalité. Je crois que c’est avant tout ça qui touche les gens». Une musique personnelle qui devient universelle, l’ipséité comme dénominateur commun à l’humanité ? Les philosophes apprécieront. Quid de ce combat entre les valeurs inculquées et la réalité qui semble occuper l’esprit de Damso? «C’est une belle question, je pense qu’en faisant de la musique c’est une bonne manière de le faire, quand j’écris c’est vraiment pour déposer ce que j’ai en moi. Parfois je peux aussi juste faire de la musique pour m’amuser. Après il n’y a pas que la musique, j’essaie de faire beaucoup de choses à côté, certainement pour combattre l’ennui d’une certaine façon.»

On ne pouvait pas parler avec Damso sans évoquer son ascension fulgurante… «Tout ça est quand même un peu bizarre pour moi, y’a encore beaucoup de textes que j’ai qui ne sont pas encore sortis, d’autre que j’ai mis dans l’album que j’ai écrit en 2012… tout ça pour moi ça fait partie de moi, les gens me découvrent, mais moi… je ne sais pas comment expliquer, je suis toujours le même, mais pourtant les gens me considèrent différemment maintenant… c’est compliqué à expliquer ce que je ressens. » Et alors qu’il va entrer sur scène dans une Arena remplie comme un œuf, on lui glisse une dernière question, sur ses premières rencontres avec son public justement «J’étais ému, c’est con, mais je ne m’attendais vraiment pas à ça. Je savais qu’il y avait un engouement, mais comme je suis au studio je ne vois pas ce qui se passe dehors, comment on parle de Damso, comment on écoute mes sons. Je ne suis pas vraiment là… je balance des trucs sur Instagram, mais je ne suis pas là à fond à tout regarder. Donc je suis arrivé et j’ai vu beaucoup de gens, de toutes origines et classes sociales, chanter mes sons… ouais j’étais ému… c’était beau, c’était vraiment beau. »

Et alors que la boucle Ipséité se referme gentiment, une nouvelle va bientôt débuter puisque son prochain album est prévu pour cette année et comme lui on voit de belles choses pour son avenir… «je vois de très belles choses. Je vois mon album qui va sortir cette année, je suis en train de le bosser et je vois un très bel album. Là je suis en plein travail, je pose, je réécoute, je refais… enfin comme d’habitude quoi, je travaille beaucoup… comme d’habitude en fait. »

crédit photo : Sacha Roth pour The Beat Festival