L'Interview De Disiz

Samedi 7 avril 2012. Les préludes du week-end lausannois s’annoncent de bon augure. Le D ! prépare sa prochaine soirée «Downtown Boogie». Mais celle-ci ne sera pas comme une édition classique puisqu’elle accueillera le retour du rappeur Disiz, anciennement connu comme Disiz La Peste au célèbre «Je Pète Les Plombs». RepreZent saisit l’occasion d’aller se balader en terre vaudoise et atterrit dans l’hôtel du rappeur. 30 minutes d’entretien au paysage d’une palmeraie qui nous révèleront un personnage au dialogue intéressant.

RepreZent.ch: Après la sortie de «Disiz The End» en 2009, tu as annoncé la fin de ta carrière en tant que rappeur. Pourquoi cette envie d’arrêter?
Disiz: Il faut recontextualiser les choses. «Disiz The End» sort en 2009, mais a été écrit entre 2007 et 2008. Si tu regardes le rap entre ces deux années, et particulièrement en France, on est en plein dans les clashes, il y avait une ambiance très délétère dans le rap game, très violent où l’art premier du rap – à savoir rapper – était devenu moins important. Et aussi les attitudes, les autres choses annexes… le bling-bling… qui est toujours là. Le bling-bling n’est pas le problème puisque c’est drôle. Mais c’est surtout l’ultra violence… tout le côté «Black on Black Crime» qu’a apporté 50cent et qui l’a rendu glamour. En France, on a un peu le reflet de ce qui se passe aux États-Unis. Et l’on était en plein là dedans. Moi je ne me retrouvais plus là dedans. À côté de ça, j’avais des problèmes dans ma vie personnelle. Tout ceci fait que je ne me retrouvais plus dans cette musique et dans toutes les raisons pour lesquelles je m’étais mis à faire cette musique. Je n’avais plus de plaisir. Par ailleurs, j’écoutais d’autres genres musicaux comme le rock. J’avais envie d’essayer cela. Sur un coup de tête, j’ai dit «j’arrête». Et j’étais vraiment sincère, je n’allais plus revenir.

RepreZent.ch: Aujourd’hui, tu es de retour… comment cela se fait?
Disiz: Je suis de retour parce que de la même manière que j’ai contextualisé en 2009, il faut contextualiser maintenant. Mon retour je l’amorce dans ma tête il y a environ un an, un an et demi. On était déjà dans un rap un peu plus… tu vois en France il y avait des groupes comme Sexion d’Assaut qui avait commencé à bien émerger. Sexion d’Assaut, leur première vidéo, c’était des potes qui rappaient bien. C’était un truc qui me ramenait à ce que je faisais quand j’étais plus jeune: bien rapper. Même, si tu regardes la manière dont j’ai parlé de 50cent et des ambiances d’avant, aux USA, ces deux-trois dernières années, c’est un peu l’avènement de Kanye West. Il fait quelque chose d’esthétique, de plus recherché où la musique est très importante. Après, il raconte aussi des conneries. Mais, il ne fait pas ce que cela, il a aussi des textes plus profonds, des textes censés. Voilà, il y avait une meilleure ambiance. À côté de cela, en France, on était encore dans un chemin très «bling bling», superficiel. Je me suis dit «vas-y, j’ai envie de revenir, je vais le faire». J’avais aussi besoin de sous. Mais ce n’était pas la raison première. Si ça avait été la raison première, j’aurais fait d’autres choix. Je ne serais pas venu avec un EP en indépendant.

RepreZent.ch: Tu n’aurais peut-être même pas fait que du rap vu qu’il est toujours très stigmatisé et qu’il ne se vend plus comme à l’époque de «Taxi». Aujourd’hui on reste un peu plus underground. Quand on parle du rap on reste toujours sur l’étiquette première. Pour l’exemple, tu parlais de Sexion d’Assaut. On ne retient que leur étiquette d’homophobe…
Disiz: Exactement. Bon ça toujours, dès qu’il y a une étiquette à coller sur un rappeur on va toujours prendre le truc pour le descendre. Mais, Sexion d’Assaut sont rentrés premier aux charts, ils ont vendu 70’000 albums la première semaine. Même au niveau des charts ça tient encore la route. Moi, j’ai sorti mon EP et je suis rentré premier devant Madonna sur iTunes. Donc voilà j’ai voulu revenir pour toutes ces raisons-là.


Dis was Peter Punk

RepreZent.ch: Ce n’était pourtant pas une réelle absence puisque tu as sorti «Dans le ventre d’un crocodile» en 2010 sous le nom de Peter Punk.
Disiz: Ouais, c’était mon virage rock. C’était une espèce de fuite en avant. J’avais un besoin de me prouver des choses. J’avais fortement envie d’essayer de chanter, de prendre d’autres angles pour les textes et de plus être enfermé dans une image de rappeur marrant. C’est quelque chose que je voulais brouiller. Je pense qu’au final c’est un bien parce que le fait que je revienne et que ça marche très bien c’est parce que, justement, il y a des gens qui me découvre sous «Disiz». Je vois des petits qui m’arrêtent dans la rue qui ne savent même pas que j’ai fait «Je pète les plombs». Ils me voient comme un nouvel artiste parce que j’ai brouillé l’image. C’est comme si j’avais mis la feuille vierge et hop.

RepreZent.ch: Dans ton interview pour Streetlive (à l’époque de «Disiz The End») tu disais que le fait qu’Oxmo Puccino fasse du jazz passerait bien puisque c’est une musique de «black» et que tu avais peur d’assumer ton envie d’aller vers le rock parce que ça risquait d’être mal vu. Je me suis demandé pourquoi vu que Jay-Z l’a fait et a eu de bons échos.
Disiz: Déjà, ce qui se passe aux États-Unis et ce qui se passe en France ce n’est pas pareil. Aux États-Unis, une grosse masse des gens qui écoute la musique a une culture musicale. En France, tu peux vraiment vraiment vraiment réduire cette niche de gens. Il n’y a pas beaucoup de gens qui ont de la culture musicale en France. Ce n’est donc pas pareil. En plus, le rock ou la «démarche» rock qu’à fait Jay-Z n’est pas la même que la mienne puisqu’il s’est associé à des gens qui font du rock, en l’occurrence Linkin Park, et ils ont fait un album en commun. Donc, tu peux faire un lien avec Aerosmith et Run DMC qui avaient aussi fait ça. C’est deux mondes qui se mélangent, qui font un disque ensemble. Certes, mais elles ne fusionnent pas forcément. Ce n’est pas Jay-Z qui a chanté, qui s’est laissé pousser les cheveux comme moi… Ce n’est pas exactement pareil. Après, il y a de ça aussi aux USA. Tu regardes Outkast. C’est hors format, ça mélange tout. André 3000 fait ce qu’il veut, il rap, il chante. C’est plus cette approche-là qui m’a intéressé. Seulement, aux USA c’est permis et c’est possible. En France, ce n’est pas permis et ce n’est pas possible. Pourquoi? Parce que là où je disais que le fait qu’Oxmo fasse du jazz reste logique parce que dans l’inconscient collectif le jazz est une musique noire. En plus, le rap a souvent samplé du jazz, s’en inspire. Ça reste cohérent. Le rock, dans l’inconscient collectif c’est une musique de blanc.

RepreZent.ch: Alors que le rock vient du blues…
Disiz: Alors que ça vient du blues et qu’il n’y a pas d’Elis Presley sans Chuck Berry. Mais voilà, dans l’inconscient collectif c’est comme ça. Donc moi, en tant que métisse blanc-noir, – et il y avait aussi une démarche politique qui n’était pas affichée au premier abord, mais c’était réfléchi pour moi – je me suis dit «est-ce qu’on va m’accepter dans cette position-là, aussi facilement que dans le rap?». Pourtant je suis les deux: noir et blanc. Donc même si l’on part du principe que le rock c’est pour les blancs et que le rap c’est pour les noirs, j’ai autant ma place dans les deux.

RepreZent.ch: Et si tu avais directement commencé ta carrière par du rock, comme Lenny Kravitz qui est aussi métisse?
Disiz: Peut-être que cela aurait été mieux pris… Je pense que si j’avais fait du rap après, je n’aurais pas eu de problèmes. «Oh c’est un noir, c’est ces racines noires. S’il a envie de faire du rap c’est normal.» Quand tu regardes les choses, dans les deux sens c’est pareil.


Disiz avant

RepreZent.ch: Sur ton album «Le Poisson Rouge», dans le titre «L’Associé du Diable», tu dis: «je m’autocensure par peur que mes dires ne soient pris à l’envers». Et, dans ton interview pour Streelive, tu décris tes textes comme réels et parsemés de figures, comme Roméo et Juliette par exemple, qui font douter sur le réel et l’irréel. Serais-tu un rappeur qui aurait peur de s’exporter corps et âme?
Disiz: (rires) Non. Bon cette citation vient de mon premier album. Après, il y a du chemin. Dans «Disiz The End», il n’y a plus de mystère, je m’expose carrément, j’y vais à cœur ouvert. Et, dans «Lucide» encore plus. Donc non. C’est juste que quand je dis ça sur mon premier album dans «L’Associé du Diable», je parle de la responsabilité de l’artiste, de ce qu’il dit. Et – on ne va pas se mentir – on peut avoir une part d’influence sur certaines personnes. Je préfère avoir une influence positive que négative. Ça n’en tient qu’à moins, chacun fait ce qu’il veut. Si certains rappeurs veulent pousser au crime ou si pour eux c’est juste pour s’amuser, qu’ils en sont convaincus et si ça se trouve ils ont peut-être raison. Parce qu’est-ce qu’on peut faire le lien entre un crime et un rappeur? En tout cas, je m’en lave les mains, je ne veux pas prendre cette responsabilité-là. Ou alors, si j’exprime un certain… comme dans «Je pète les plombs», il y aura toujours la notion cinématographique et second degré. Ou alors, si je le fais plus sérieusement, comme dans mon morceau «Fuck You Partout» où je dis «qui n’a jamais pensé à basculer / dire aller vous faire enculer / foncer dans le mur / ne jamais reculer», il y a quand même, dans les premier et deuxième couplets une explication à cela. Ce n’est jamais gratuit. Et cela parce que je prends mes responsabilités en tant qu’artiste.

RepreZent.ch: Tu te sens plus libre qu’à l’époque du «Poisson Rouge» ?
Disiz: Ah beaucoup plus libre. Pourquoi? Parce que j’ai beaucoup plus d’armes pour exprimer exactement ce que je veux dire. Avant j’étais dans la fougue du jeune adolescent qui quand même fait attention, mais qui dit les trucs. J’ai beaucoup plus de mots, d’image, de métaphores, de poésie pour exprimer exactement un sentiment.

RepreZent.ch: Avec le recule, penses-tu que le titre «Je pète les plombs» et l’étiquette qu’il t’a donné t’ont desservi?
Disiz: C’est un peu le revers de la médaille. Ça m’a apporté parce que ce morceau m’a propulsé. Ça a fait que je suis encore en vie artistiquement aujourd’hui, je pense. D’un autre côté, pendant longtemps – plus maintenant je pense –, ça m’a figé dans une image assez drôle, légère alors qu’au départ ce titre n’est pas du tout léger. C’est le clip qui l’a rendu léger. Quand je le regarde aujourd’hui, ce clip a été rendu léger par des contraintes de censures. Je m’explique. Au départ, quand je fais ce titre-là, je veux reprendre le film «Chute Libre» de Joel Schumacher avec Michael Douglas. Et, je veux faire un clip violent. J’étais jeune à l’époque, la violence ne me faisait pas peur. Je veux faire un clip violent avec un peu de second degré. Le fait de mettre un harpon et une grosse massue, ça a été imposé parce que pour passer un clip à la télé tu ne peux pas mettre des répliques d’armes. Par cette contrainte-là, on a été obligé de choisir quelque chose de plus cartoon et le fait de faire ceci ça a donné une connotation drôle à ce titre là. Alors qu’au départ, ce titre-là n’est pas forcément que drôle. Il est plus humour noir que burlesque. C’est le clip qui l’a rendu burlesque. Aujourd’hui, je n’aurai pas lâché sur ce point et peut-être que ma carrière aurait été différente. Tu vois c’est des micros choix qui font que. C’est pour cela qu’aujourd’hui je contrôle mon image de A à Z.

RepreZent.ch: Je vois ce que tu veux dire. J’avais 12 ans quand il est sorti et c’est vrai que c’est un titre qui pour nous, pré-ado, était comique. On n’avait pas vraiment la capacité de comprendre les tenants du texte. C’était un titre marrant. Alors que non…
Disiz: Ouais, quand tu le replaces dans le contexte d’aujourd’hui, qui n’a jamais pensé à péter les plombs? Ça parle de la société de consommation, de plein de choses. Moi-même, en l’écrivant je ne savais pas que je parlais de tout ça. C’est des choses que je ressentais, mais je n’avais pas forcément exactement conscience de tout ça. J’travaillais au McDo quand j’ai écrit ce titre. Je n’étais pas connu. Mais voilà, ce qui l’a aussi rendu drôle c’est le côté subversif du refrain avec les gros mots, «suce mon zeub». C’est amusant pour un petit de dire ces choses, ils ne savent pas ce que ça veut dire. Et, il y a un côté un peu subversif de dire des gros mots. Quand j’écoutais NTM, ça veut dire «nique ta mère», j’avais l’impression de faire un truc de ouf.


Disiz ma vision de la politique

RepreZent.ch: En 2007, tu as soutenu Ségolène Royal lors de sa campagne présidentielle. Pourquoi l’as-tu fait en 2007 et pas aujourd’hui?
Disiz: Il faut spécifier les choses. Je n’ai pas soutenu Ségolène Royal, exactement. Ça ne s’est pas passé comme ça. On m’a demandé, en amont de la campagne. De soutenir Ségolène Royal. J’ai dit «non, je ne me mélange pas à la politique». Dans l’entre-deux tours, quand elle était opposée à Nicolas Sarkozy, mon tourneur m’a demandé de participer à un meeting à Charléty pour soutenir, pour le coup, Ségolène Royal, mais surtout contre Nicolas Sarkozy. Moi, après les phrases du «karcher» et tout cas et par rapport à tout son programme…tu sais ça me fait rire de voir les gens qui le soutenaient et qui ont été déçu du sarkozisme parce qu’il n’a rien fait de plus que ce qu’il avait commencé à faire. Séparer les Français, faire une distinction entre un tel et un tel, bref. C’était plus contre lui que pour elle. En plus, j’ai été déçu par elle et ce soutien-là. À la condition que je vienne participer à ce meeting, j’avais demandé à la rencontrer, de parler avec elle. J’avais des idées, des discussions à avoir sur la banlieue, la représentation qu’on a des jeunes de banlieue, du fait de mettre à chaque fois des studios et des terrains de basket en cité alors qu’on aurait plutôt besoin d’autres choses. Bref, j’aurai aimé pouvoir discuter de cela avec elle. Mais, j’ai clairement été instrumentalisé et jamais je ne l’ai rencontrée. Je n’ai jamais parlé avec elle. Voilà pourquoi aujourd’hui, on ne m’y reprend pas. Et pourtant j’ai des demandes. Mais, on ne m’y reprend pas. On ne va pas me la faire deux fois.

RepreZent.ch: Tu ne te prononceras même pas sur ta position?
Disiz: Non, je ne me prononce pas. Moi, je me prononce dans mes textes. Ce que je décris dans mes textes et dans mon roman, «René», reflète une certaine corrélation – alors que je ne l’ai pas fait exprès – avec ce qui se passe aujourd’hui. Si l’on veut connaître mon positionnement politique ou idéologique ou mon signal d’alarme ou ce que j’ai envie de dire, il faut écouter ma musique et acheter mon bouquin. Et franchement, qu’est-ce que ça change dans le quotidien des gens de Disiz La Peste aille soutenir François Hollande. Depardieu qui va soutenir Sarkozy. Qu’est-ce que ça change à part cent fans de Depardieu qui vont dire «ah il a soutenu Sarkozy, je vais voter pour Sarkozy». C’est bête! C’est bête parce que si encore il y avait un discours, que j’allais vraiment parler avec François Hollande, qu’on allait échanger sur des choses, un avis sur la banlieue…Là, ça serait intéressant parce qu’il y aurait un apport. Mais là, on est quand dans du superficiel. On est que dans du «name dropping»: Francois Hollande – Disiz. En plus, c’est un calcul qui est bête parce que ce n’est pas parce que Disiz vote un pour Hollande que la banlieue va voter pour Hollande.

RepreZent.ch: Du coup, t’as rejoint ma prochaine question qui était: est-ce que tu penses que c’est aux artistes de s’exposer par rapport à leurs convictions politiques?
Disiz: Ça dépend. Aux États-Unis, je pense que ça a de la valeur. Quand tu prends un mec comme Matt Damon qui soutient, à l’époque, Barack Obama. Et qui, on le voit dans ses choix de films, par exemple dans le documentaire sur les subprimes (ndlr: Inside Job), a une cohérence. Quand Matt Damon s’engage pour Obama, il n’y a pas que du «name dropping». C’est du «name dropping» au service d’idée. Quand George Clooney le fait avec l’implication qu’il a eue au Darfour, il a été jusqu’à l’ONU, etc. Il y a une implication, cela veut dire quelque chose. Mais en France Depardieu… On prend une coquille, elle est vide… c’est naze! En plus, quand le Canard Enchainé sort l’histoire de Depardieu où dans une discussion il dit qu’il a soutenu Sarkozy parce qu’il a toujours été là pour lui. Quand Depardieu a eu des problèmes de sous, il a appelé Sarkozy et il a réglé ses problèmes. Mais quelle image on envoie aux gens? Aux pauvres gens qui ont des dettes, les huissiers viennent chez eux. Eux ils n’ont pas le portable de Sarkozy pour régler le truc. C’est contre-productif. Ça met encore plus un fossé entre la politique et les gens. C’est du «name dropping» qui est totalement contre-productif et inutile. Donc moi je n’ai rien à voir là-dedans.

RepreZent.ch: Tu iras voter anonymement…
Disiz: J’irais voter anonymement et si l’on veut connaître mes idées et mon positionnement, il faut aller voir dans mon disque et dans mon livre

RepreZent.ch: Est-ce qu’à ton avis la tuerie de Toulouse a changé la donne pour les élections ou c’était déjà joué d’avance?
Disiz: Ce n’était pas joué d’avance, mais malheureusement, la tuerie a réveillé cette campagne qui était un peu endormie à part du côté de Mélenchon. Malheureusement, je pense que ce grave fait divers a réveillé la campagne dans un sens qu’on ne connaît que trop bien. En 2007, c’est la tuerie de Nanterre. Avant c’était Papivoise. Un choc qui vient. Comme les tours jumelles…

RepreZent.ch: Au vu du passé que la France a avec l’Afrique, pourquoi, à ton avis, est-ce que les Maghrébins et les personnes originaires de l’Afrique Noire sont toujours aussi marginalisés?
Disiz: Parce que je pense qu’elles sont tributaires de deux injustices. La première est qu’on est dans un pays élitiste et qu’il a une injustice sociale. Ça, c’est clair. On est déjà dans un truc de classe. En plus, et deuxièmement, il y a ce terreau qui pue de l’identité nationale. De qu’est-ce que cela veut dire, de définir qu’est-ce qu’un Français, est-ce qu’il est blanc, etc. Il y a donc la double injustice. Voilà pourquoi aujourd’hui, quand tu viens de cité, que tes parents sont originaires du Maghreb ou d’Afrique noire et que dans tout ce que tu vois on te montre que t’es pas un Français alors que beaucoup de Français ne pensent pas comme ça vu qu’ils ont les mêmes problèmes, c’est dur de ne pas être schizophrène. Le gouvernement agite des concepts qui sont relayés par les médias. Ceci met en avant des problèmes qui n’existaient pas ou que les gens ne voyaient pas entre les gens. Ça montre un chemin qui est anecdotique. Par exemple, si l’on regarde le truc des créneaux à la piscine pour qu’il n’y ait que des femmes. On a dit oui les musulmans, c’est pas bien, ça atteint le truc, etc. Alors qu’il y a même des grosses femmes qui veulent tout simplement ne pas être vues et profiter de cela. Mais, on ne parle pas de cet aspect. On va tout de suite voir le truc.


Disiz un écrivain

RepreZent.ch: Tu as sorti un roman en début d’année. Peux-tu nous en dire quelques mots?
Disiz: Alors, il s’appelle «René». L’histoire se passe en 2025, après une guerre civile en banlieue. Un État totalitaire a pris le pouvoir. Il y a une batterie de lois répressives qui sont mises en place. Notamment: la francisation obligatoire des prénoms, la majorité légale rabaissée à 14ans. Et tout se passe pendant un referendum pour rétablir la peine de mort. Au milieu de ça, il y a deux petits de 13 et 14 ans, Edgar et René, et qui donc, par ces lois-là, sont de jeunes adultes. Ils vont être accusés d’un crime. C’est le cadre. Dedans, c’est écrit avec humour, poésie et ça raconte l’été de deux adolescents.

RepreZent.ch: Ça représente un peu une vision du futur non?
Disiz: Ca représente une vision d’un certain futur… je ne me prends pas du tout pour Paco Rabanne et encore lui il a dit beaucoup de connerie, je ne suis pas un visionnaire ou un médium ni quoi que ce soit. Ça représente un certain futur qu’au regard de ce qui se passe aujourd’hui, si on ne change rien, c’est un futur qui est possible.

RepreZent.ch: Est-ce que tu as eu des retours des politiques sur ton livre?
Disiz: Non, je n’ai pas trop de liens avec les politiques. À part les liens où ils veulent m’ambiancer pour que je sois avec eux.

RepreZent.ch: Je ne l’ai pas lu, mais j’ai lu des descriptions, des critiques et comment tu en as parlé dans les médias. C’est vrai qu’il a l’air d’être très fort…
Disiz: C’est ancré dans la réalité même si c’est une réalité extrapolée vers le pire. J’imagine une France du pire. Mais, il y a certaines choses qui pourraient très bien se passer et qui se passent aujourd’hui.


Disiz « Lucide »

RepreZent.ch: Ton EP «Lucide» est déjà disponible.
Disiz: Oui, c’est un minialbum de 7 titres.

RepreZent.ch: En l’écoutant, j’avais plutôt le sentiment que tu donnes une image assez négative du rap.
Disiz: Il y a deux côtés. Il y a le côté «Moise» où là c’est sérieux et il y a une critique assez acerbe. Après il y a le côté que j’ai toujours eu et qui est là pour rigoler comme «Bete De Bombe 5». Là, c’est plus du chambrage, c’est plus pour rigoler. Ça fait partie du rap game. Au jour d’aujourd’hui, je n’ai ni une image positive ou négative du rap. Ce que j’aime c’est qu’il y a un autre son de cloche incarné par moi, Youssoupha, Orelsan, 1995 voir même Sexion d’Assaut. Au moins, on est dans quelque chose de moins cynique, quelque chose d’assez lumineux, de positif. Après, on peut ne pas aimer la forme et tout. Mais, l’angle et l’intention de départ sont quand même de faire de la bonne musique. Et, le point commun de tous ces gens est de bien rapper. Ça, c’est quelque chose qu’on avait perdu.

RepreZent.ch: Du coup, t’es plutôt content de la nouvelle scène du rap français ? Il y a une bonne relève à ton avis ?
Disiz: Ouais, bien sûr. Ce n’est pas une relève parce que je sens que j’ai la même force qu’avant donc je ne me sens pas… et je n’ai pas la prétention d’être un mec qui va passer un témoin. C’est très prétentieux et je n’aime pas ces choses-là. Ce n’est pas une relève, c’est du sang neuf qui arrive et qui continue le sillon. Voilà, je suis à côté. Je suis avec, je suis dedans, on s’aide. C’est cool. On n’est pas dans un rapport de hiérarchie.


Disiz le futur ?

RepreZent.ch: Tu as prévu la sortie d’un nouvel album cette année. Quelle sera sa couleur musicale?
Disiz: En fait, «Lucide» est un très bel avant-gout de mon nouvel album. Dans le sens où «Moise», «J’ai la haine», «Mon Amour» sont des titres qui étaient sur «Extra-Lucide» à la base et que j’ai enlevés. La différence entre «Lucide» et «Extra-Lucide» c’est qu’«Extra-Lucide» ne parle pas de rap. Ça parle de la vie. C’est du rap, certes, mais ça ne parle pas du milieu du rap. On est dans quelque chose de très ambitieux. Autant musicalement qu’au niveau des textes.

RepreZent.ch: Musicalement parlant, tu es retourné au hip-hop?
Disiz: C’est du hip-hop comme «Toussa toussa», «J’ai la haine». C’est une base avec un quick dirty south et avec des guitares rajoutées dessus. C’est fondamentalement hip-hop. Après, il y a des éléments pop, rock. Mais, la base est programmée, elle est rapée.


Disiz ma vision de la musique

RepreZent.ch: Tu n’as donc pas abandonné l’idée de mettre du rock dans ton hip-hop…
Disiz: Non. Je me suis servis de l’expérience de Peter Punk pour élargir ma palette. J’ai bien plus d’armes maintenant au niveau des textes, de la musique pour arriver à exprimer vraiment ce que je veux dire. J’espère que c’est exponentiel et que je vais encore y arriver encore plus, plus tard.

RepreZent.ch: Si l’on parle d’une manière générale, je ne parle pas forcément de ce que toi tu fais. On voit beaucoup qu’il y a des l’électro qui vient s’ajouter au hip-hop, avec des David Guetta feat. Snoop Dogg et autres. D’un autre côté, on a toute une palette de rappeurs et de chanteurs américains qui reviennent à de vieilles sonorités, avec Raphael Saadiq et The Roots par exemple. Est-ce que tu penses que ces mélanges sont bénéfiques pour le hip-hop ou que ça va le perdre?
Disiz: Je pense que les deux exemples que tu as choisis sont deux exemples que j’apprécie pas trop. Pourquoi? J’aime beaucoup Raphael Saadiq. Il a fait un superbe album 3-4 ans (ndrl «Ray Ray »). C’est ça pour moi Raphael Saadiq. Justement, il arrive à mélanger des sonorités d’aujourd’hui avec des sonorités d’avant. Mais, quand il fait un «revival», ça me soule. Ca me soule parce que j’aime Prince qui a pris la funk et l’a mélangé. J’aime Michael Jackson qui a pris sa disco qu’il a mélangé avec du rock. Il a créé un son. J’aime Kanye West parce qu’il prend les break-beat qu’il mélange à de la pop. Ça va vers l’avant, j’aime. Après c’est mon avis personnel et je préfère bien évidemment écouter Raphael Saadiq que chai pas qui. Pareil, David Guetta c’est pareil, c’est de la soupe.

RepreZent.ch: C’est la déchéance ?
Disiz: Non, pas la déchéance parce que je suis persuadé qu’il fait aussi de la bonne musique et qu’il peut le faire. D’ailleurs, je crois que sur ses CD il y a deux côtés. Il y a un côté recette et supermarché qui est dégueulasse. Après, chacun fait ce qu’il veut.

RepreZent.ch: À ton avis, qu’est-ce qui passe dans la tête d’un Snoop Dogg pour vouloir faire un morceau avec David Guetta? Surtout qu’il n’y pas besoin de thune
Disiz: Bah, je ne le blâme pas parce que Snoop c’est un joyeux luron qui, peut importe où il se pose ça sera toujours bien même sur ce morceau avec Guetta. Le morceau est naze, mais ça fait toujours rire de voir ce grand type avec son flow qui est juste fantastique. La seule chose qui est dommage c’est de mettre de l’autotune sur Snoop. Ça pour moi c’est un pêché. Le mec il chante, sa voix est trop belle et on met de l’autotune. Là, c’est abusé.

RepreZent.ch: Qu’est-ce que le vrai rap, le vrai hip-hop selon toi?
Disiz: Je n’ai pas de définition. En plus je n’ai pas les choses péremptoires, le vrai, le faux. Qui suis-je pour dire ça?

RepreZent.ch: J’ai 23ans, j’ai baigné depuis mon plus jeune âge dans le hip-hop et j’entends tout le temps les rappeurs dire qu’ils font du vrai hip-hop. Au fil des interviews, je me suis dit qu’il serait intéressant de demander aux acteurs du milieu ce qu’est ce «vrai» hip-hop.
Disiz: Si je dois te donner une définition et cela ne veut pas dire qu’elle est vraie ou fausse. Vu que c’est ma vision. Pour moi, le hip hop c’est un entonnoir. Pourquoi? Parce que ça s’inspire de plein de choses et ce qui en sort, c’est du hip-hop. Tu peux appliquer cela à toutes les musiques, mais particulièrement au hip-hop. Le hip-hop est fait, à la base, par des gens qui n’ont pas d’argent, qui n’ont pas les moyens de s’acheter des instruments de musiques. Ils vont aller, par des procédés de débrouille, sampler, créer. Quand, au départ Afrika Bambaataa sample Kraftwerk (qui est un groupe d’électro allemand), on ne se dit pas qu’il a pris de l’electro, ça ne va pas. Il a mélangé, il a posé son flow dessus et ça a donné du hip-hop. Donc c’est une fusion harmonieuse, voilà. Après il y a des codes qui sont définis et tout ça. Moi je dirais que ma définition c’est ça: un joli entonnoir.


Disiz un showcase

RepreZent.ch: Ce soir tu fais un showase au D !, ce n’est pas la première fois que tu viens en Suisse. T’as aussi collaboré avec Stress sur son premier album. Quelle est ta relation avec la Suisse?
Disiz: Ah j’aime beaucoup. Tout ce qui est Suisse et Belgique j’aime beaucoup parce qu’il y a un état d’esprit anglo-saxon où l’on se prend un peu moins la tête. Et c’est assez jouissif. On peut retrouver ça dans certaines villes en France aussi. Mais voilà, moi j’aime bien la Suisse, j’ai toujours eu un bon accueil. C’est cool, c’est détendu.

RepreZent.ch: Comment vas-tu aborder ton showcase?
Disiz: Cool, énergie, amusement, sourire. Voilà. Me faire plaisir sur scène et c’est comme ça que les gens vont se faire plaisir.


Disiz repreZent

RepreZent.ch: Quelle est ta définition du terme «RepreZent»?
Disiz: «Reprezent» pour moi c’est…t’as la chance et même temps la responsabilité d’être devant. Donc une foi que tu as été mis devant par les tiens, ne pense pas que tu es tout seul. Ne sois pas dans l’individualisme et parle pour les tiens. Là, tu représentes. C’est assez complexe, mais c’est ça. Pour moi, c’est la chance et la responsabilité d’être devant.


Disiz the end

RepreZent.ch: Merci beaucoup Disiz
Disiz: Merci à toi.

par Sophia Jasmina