Hé oui, seule la langue les réunit tous. Car les codes et les frontières n’ont plus lieu d’être en 2017. C’est donc avec joie que Skywalk vous propose un top de fin d’année éclectique et purement subjectif. Bref, « Le rap (en français) c’est mieux maintenant ». Et comme pour justifier cet état de fait, une tripotée de noms s’imposait.

Homme de l’année : Sofiane

Confirmation éclair

Sofiane n’a pas toujours suscité l’engouement qu’il provoque aujourd’hui. Il y eut même une période où l’interprétation du titre de ses albums pouvait laisser supposer le contraire. En ce sens, le diptyque Blacklist, l’un sorti en 2011 et l’autre en 2013, évoquait une incapacité à percer, dont l’issue était un destin tracé hors des sentiers de l’industrie. Malgré des qualités avérées, les deux projets -peut-être trop calculés- n’ont pas projeté Sofiane sur le devant de la scène. Il se vit alors relégué en « seconde zone », un espace indéfini dans lequel se côtoient les rappeurs « sous-cotés » et sur lequel le temps n’a aucune prise. Jusqu’en 2016. « T’rapelles de moi ? ». Ouf, ça devenait long.

Son succès fulgurant- en un an-, il le symbolise dans les dix épisodes clippés (onze à l’heure où ces lignes sont écrites) de la série #JeSuisPasséChezSo. Du premier tourné à la Castellane, enclave marseillaise réputée impénétrable, jusqu’au dixième filmé dans les bureaux de Capitole après avoir signé « le contrat de l’année ». La boucle est bouclée, la roue de l’infortune a tourné. Depuis, plus question de s’arrêter, pas question de laisser retomber le soufflé. Les dix freestyles compilés –entre autres titres- sur disque signeront l’aube d’une nouvelle carrière. Celle qui exprime l’urgence d’exploiter au maximum ce triomphe tardif et inespéré.

2017 inaugure l’ère de la confirmation. Bandit Saleté  sort peu après #JesuispasséChezSo et sent fort l’opportunisme de maison de disque : minimiser les risques et resservir la même tambouille. Trois titres identiques dans leur construction rythmique sont présents sur l’album, dont l’un clôturait déjà l’opus précédent. Qu’importe, la sauce prend. Même si l’ensemble est inégal, l’important est ailleurs. En deux titres emblématiques- « Bandit Saleté » et « Toka »-, le projet concentre tout le savoir-faire de Fianso, auquel s’ajoute la course à la réussite. Comme si les années de flou artistique avaient transformé « Le fils à Kader » en super pac-man: avancer vite pour tout bouffer.

L’instinct de survie et la spontanéité –ingrédients imparables de la recette Sofiane- convoquent l’instantanéité : « top départ , j’donne le go». Un véritable manifeste de l’homme pressé, toujours en mouvement : « il fait l’con, te casse, on repasse le lendemain/30 secondes montre en main, on remonte le réseau ». « Va niquer ta mère, ça fait quatre mots piles/sortie quatre pots plats/go fast en batmobile. » Une écriture qu’on jurerait sous amphèt’. Pas étonnant que le déplacement s’inscrive autant dans les textes du rappeur. Et quoi de mieux qu’une frasque pour le rappeler? En bloquant les voitures sur l’autoroute A3 pour les besoins d’un clip, Sofiane continuait d’entretenir un lien avec le mouvement.


TOP 3 (sans ordre de préférence)

Isha – « La vie augmente »

Le point commun entre Isha et Cécile de France? La Belgique évidemment, on vous voyait venir…mais comme les frontières ne comptent plus en 2017, Isha se présente comme le digne héritier d’un Busta Flex goguenard. Flow des nineties, bourré d’humour, le belge n’est cependant pas venu faire le guignol. « La vie augmente », c’est 10 titres bruts écrits par un trublion insolent. « Je croyais qu’elle avait le feu au cul, finalement elle a un diable dans la chatte/Elle a une cambrure qui me préoccupe, une âme noire et un cœur sans attache ».

Damso – « Ipséité »

Depuis ses débuts, Damso perçoit l’individu indépendamment de la société dans laquelle il évolue. Sur « Amnésie » il rappait «J’me construis plus dans l’regard des autres/ J’suis ni des leurs, ni des vôtres, ni des nôtres ». Jusqu’à cultiver une particularité qu’entretient « Ipséité ». Déjà le titre de l’album annonce une spécificité. Ensuite, les premiers mots de Dem’s sur le projet ne constituent pas seulement une mise au point bravache (« J’viens pas du ghetto, je n’viens pas de cité/Donc si je dois te niquer j’le ferais seul-tout »), mais revendiquent ce particularisme. Peut-être par défi (vouloir régler ses comptes seul), plus encore pour signifier qu’il n’appartient à aucun groupe (le quartier qui l’aurait épaulé), certainement pour s’extraire du « rap game » puisqu’il ne s’agit au fond que de musique. Lui et l’autre, lui contre les autres. Une opposition habituelle dans le rap qui aurait pu se transformer en prétention mal placée chez quelqu’un d’autre. Mais Le belge a su concilier le fond et la forme comme personne et a réussi, en plus, à briser les dernières barrières érigées entre les genres. Un artiste complet doublé d’un homme singulier.

Vîrus – « Les Soliloques du Pauvre »

Vîrus n’a jamais quitté la marge, preuve en est ses cinq EP solo et son escapade en groupe soldée par l’album « Toute entrée est définitive ». Après avoir testé les supports classiques de diffusion, le Rouennais d’origine revient avec un livre-disque. Forcément intriguant lorsque l’on a connu les livres audio de Marlène Jobert. Quoique les deux abordent la musique, d’une certaine façon. Mais La comparaison s’arrête là. Celui qui nous intéresse réveille les morts plutôt que d’endormir les vivants. Sur le projet, Vîrus exhume le poète français Gabriel Randon de Saint Amand alias Jehan-Rictus (1867-1933). La particularité de ce dernier était d’écrire en argot populaire de Paris, ville qui l’aura vu vivre misérable au point d’errer dans la rue. Jehan-Rictus s’inspira directement de son expérience pour écrire le recueil de poèmes « Les Soliloques du Pauvre » qui connurent un certain succès en leurs temps. Ici le livre contient les poèmes originaux tandis que le disque permet d’écouter l’interprétation qu’en a faite Vîrus, des centaines d’années plus tard. Pour le seconder dans l’exercice, Le rappeur convie Jean-Claude Dreyfus, acteur au palmarès impressionnant. Étrangement peu aperçu au cinéma ces dernières années. Deux, voire trois artistes en marge de leur époque ne pouvaient qu’aboutir à un projet décalé et hors du temps.


Challengers : Vald, Veerus, Taipan, Infinit’, Siboy, Hartigan, FixpenSill, Arm, Jok’Air,…


En incubation : SuperWakClique, Panama Bende, Moha La Squale


Meilleurs couplets : Mac Tyer sur «Guedro » (rmx)// Makala sur « Pompidou »


Bangers :


Meilleur refrain :
« Si j’ai un fils j’veux pas qu’il joue dans l’porche et qu’il roule en Golf. J’préfère qu’il joue au golf et qu’il roule en Porsche ». Infinit’ sur « Porsche »


Meilleures « Punchlines »:
« Si à 30 piges t’as pas nourri de pauvres, t’as loupé ta vie ». Hartigan sur « Vérité »
« Guerlain va bientôt chier dans ses sapes, il aura besoin d’une black ». Despo sur « Boomrang »


Plaisir coupable : Sinik – « Drône »


Meilleur titre d’album : « Air mès & Hermax » de Butter Bullets


Retour(s) en forme : Orelsan, Keny Arkana


Meilleur(s) producteur(s) : Katrina Squad


par Skywalk